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Maurice/Afrique

Responsabilité sociétale des entreprises : la leçon africaine

Alors que Maurice caracole dans de nombreux classements africains, elle se trouve à la traîne en matière de esponsabilité sociétale des entreprises. En cause : une différence stratégique initiale. À Maurice, la RSE se trouve sous l’emprise de l’État.

« L’environnement économique et social en Afrique se transforme de manière structurante (…) Nos entreprises inventent leur modèle, trouvant des solutions pragmatiques et innovantes. Pour cela, elles peuvent s’appuyer sur la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE), ou Corporate Social Responsibility (CSR) en anglais. Selon une récente étude du cabinet Mazars, réalisée auprès de collaborateurs de grandes entreprises basées en Afrique anglophone et francophone, 89 % d’entre eux se disent incités à rejoindre une entreprise ouverte à l’innovation et à l’intrapreneuriat (démarche qui permet aux salariés d’une entreprise de mener un projet innovant de bout en bout en leur sein tout en gardant leur statut). » Ainsi s’exprimait Stéphane Moudouté-Bell, commissaire général de l’African Business & Social Responsibility Forum lors de l’ouverture de la seconde édition de cette rencontre professionnelle qui s’est tenue à Maurice les 26 et 27 février 2018. Preuve de l’intérêt croissant pour ce sujet, le forum a attiré une quarantaine d’entreprises venues du continent et de Maurice. L’occasion d’exposer leurs projets qui, outre leur engagement sociétal, traduisent de véritables stratégies d’entreprise…


Regis Segbenou, directeur de la fondation du groupe panafricain Nouvelle société interafricaine d’assurance (NSIA) : « Notre fondation a été créée en 2015 pour redonner aux populations ce qu’on gagne ! »  DR
 

Quand philanthropie rime avec business

« Notre fondation a été créée en 2015 par notre président, Jean Kacou Diagou, pour redonner aux populations ce qu’on gagne », indique Regis Segbenou, directeur de la fondation du groupe panafricain Nouvelle société interafricaine d’assurance (NSIA). Présent dans douze pays d’Afrique de l’Ouest, dont le Nigéria et le Ghana, et en Afrique centrale, le groupe NSIA a réalisé un chiffre d’affaires de 221 milliards de franc CFA (337,4 millions d’euros) en 2015. Quant à sa fondation, elle bénéficie d’un budget de 600 millions de francs CFA (916 000 euros). « Pour le moment, il est alimenté par des dons versés par nos deux filiales. Mais l’objectif, à moyen terme, vise à ne pas dépendre seulement de ces dons, mais d’un budget en propre de 150 millions de francs CFA (229 000 euros). Entre autres actions, nous avons construit en Guinée Conakry, en partenariat avec l’Unesco et les éditions de l’Harmattan (éditeur parisien spécialisé dans les ouvrages des pays en développement), une bibliothèque pour les enfants des rues. Par-delà cette action louable, il s’agit aussi d’opérations de marketing et de promotion. Car elles font connaître nos services et notre action », explique Regis Segbenou. En ce sens, le groupe panafricain s’inscrit dans une tendance mondiale soulignée par une étude intitulée Les nouvelles frontières de la responsabilité sociétale en entreprise : un modèle au service de la performance ? Dévoilée en 2016 par l’agence Havas Paris, elle indiquait que pour 76 % des 200 dirigeants d’entreprises françaises interrogés, la RSE aura un impact sur leur modèle économique. Car elle génère de nouvelles offres, des produits spécifiques et de nouvelles activités. Bref, la RSE est (aussi) devenue un enjeu business… « Nos actions de proximité nous permettent de mieux connaître nos marchés afin de proposer les offres et les services les mieux adaptés. La RSE est aussi un outil indispensable de gestion des risques : elle permet de faire connaître et donc de protéger nos personnels et nos outils de travail. C’est primordial en cas de troubles socio-politiques. Enfin, il s’agit d’une stratégie de gestion des ressources humaines : un jeune diplômé, dont la famille aura bénéficié de nos actions, sera plus enclin à venir travailler avec nous », assure le directeur de la fondation. Cette stratégie est d’autant plus pertinente avec l’émergence, timide mais réelle, d’une classe moyenne africaine avide de nouveaux services et produits. Pourtant, l’enthousiasme des directeurs de départements de RSE d’entreprises africaines n’était guère partagé par leurs homologues mauriciens. « Nous aussi, nous avons la RSE mais on ne parle pas de la même chose ! », grommelle, dépité, Mario Radegonde, CSR Manager et directeur de la fondation du groupe ENL. 

Un caractère obligatoire

Les chefs d’entreprise mauriciens ont été invités par le gouvernement depuis le Budget de 2007 à reverser au moins 1 % de leur résultat net à des oeuvres charitables. Mais c’est en 2009 qu’une loi a fixé ce taux à 2 % et a rendu cette contribution obligatoire. Il s’agissait d’apporter un soutien aux populations suite aux graves émeutes de 1999 qui ont secoué l’île, mais aussi et surtout de suivre l’orientation de l’accord de Cotonou de 2000 entre l’Union européenne et les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) qui vise à l’intégration du secteur privé et de la société civile dans la gouvernance de ces États. « ENL, comme d’autres groupes, avait déjà une tradition d’aide de ses employés avec la création de dispensaires et de programmes d’alphabétisation. Mais ce qu’il est fondamental de comprendre, c’est que la RSE à Maurice, outre le fait d’être obligatoire, doit être utilisée selon un cahier des charges décidé par l’État », martèle Mario Radegonde. « Ce qui est en contradiction avec la définition même de la RSE, qui repose sur des initiatives positives et volontaires dans des domaines divers et allant au-delà des obligations légales ! », ajoute, amer, l’un de ses confrères présents au forum de la RSE. La création du CSR par l’État est, pour certains professionnels du secteur, le pêché originel. Même si, en fait, la loi vise surtout à mutualiser les moyens et à éviter que seulement certaines ONG en profitent. 
Malgré cela, la Fondation d’ENL a mis en place son CSR qui bénéficie d’un fonds évalué à 12 millions de roupies (300 000 euros) par an et a permis d’accompagner le cursus scolaire d’enfants de régions défavorisées. « De quoi porter de 30 % à 90 % le taux de réussite au Certificate of Primary Education (certificat d’études primaire) », précise Mario Radegonde.


Mario Radegonde, CSR Manager et directeur de la fondation du groupe mauricien ENL : « Sur le plan de la RSE, Maurice a tout à apprendre de nos confrères africains ! »  Davidsen Arnachellum
 

Vers une Corporate Social Tax

En 2016, l’État a durci les conditions du CSR. Auparavant, les entreprises ne versaient au Trésor public (Mauritius Revenue Authority) que les fonds inutilisés. Mais elles pouvaient soutenir les associations de leur choix à condition qu’elles soient agréées. Cela avait suscité des critiques sur la transparence de l’octroi de ces fonds. Aussi, une nouvelle entité, la National CSR Foundation, a été créée. Elle perçoit 50 % des fonds CSR des entreprises, ainsi que toute contribution CSR non dépensée par celles-ci. Et en 2019, c’est 75 % des contributions qui passeront par elle ! Cette décision n’est pas sans conséquence puisqu’elle a déstabilisé de nombreuses ONG. « Il faut arrêter de parler de Corporate Social Responsibility, mais parler plutôt de Corporate Social Tax (CST). Car il s’agit tout simplement d’une taxe supplémentaire », déplorent certains acteurs mauriciens du secteur. On est donc bien loin d’un outil stratégique aux mains des entreprises…

MAURICE À LA TRAÎNE PARMI LES PAYS « RSE FRIENDLY »
L’île n’occupe que la 77e place dans le classement mondial effectué en 2017 par l’Institut Respeco (rattaché au World Forum for a Responsible Economy). Elle se trouve derrière plusieurs pays africains en matière de RSE. Ainsi, le Top 5 africain est constitué du Burkina Faso (38e), du Sénégal (44e), du Gabon (51e), du Maroc (54e) et du Ghana (55e). À noter que Madagascar est 80e, les Comores 98e et les Seychelles 106e. La Suède trône en première place. La France occupe la 7e position.